Philippe Tourret : coup de projecteur sur le porteur de l’ombre
Chaque jour de la semaine, il sillonne Villemur pour porter le repas à une cinquantaine de personnes isolées. Un travail de l’ombre qui illumine le quotidien des bénéficiaires. Portrait de Philippe Tourret, agent de la commune de Villemur depuis 31 ans.
Il est 7h30 et la nuit est encore noire. Philippe Tourret arrive au Pôle Social, et se met au volant de la camionnette réfrigérée de la Mairie. Ce véhicule est à la fois son outil de travail et son bureau, comme l’était la faucheuse qu’il a conduite pendant 30 ans pour couper l’herbe des routes de la commune. Il y a un an, il a voulu changer de poste : « Je suis quelqu’un de solitaire mais j’aime bien le contact. Aller voir toutes ces personnes, ça me ressource. » explique-t-il.
Direction la maison de retraite de Villemur : c’est là qu’il va récupérer les repas, confectionnés par le chef de l’EHPAD Saint-Jacques. Philippe Tourret charge la nourriture dans des bacs à l’arrière de la camionnette, un pour chaque élément du repas : ce jour- là, c’est potage, crêpe, betterave, rôti de veau, tomates provençales, fromage et banane. Le geste est rôdé et précis. À chaque domicile, Philippe Tourret reconstituera dans une barquette noire le repas du bénéficiaire, en prenant soin de respecter les régimes alimentaires de certains, sans sel et/ou sans sucre.
« Philippe, c’est le meilleur de tous ! »
« Je suis né à Villemur il y a 51 ans, je les connais tous ! ». Philippe Tourret se gare devant la première maison de sa tournée. Il prévient : « Cette dame, elle se plaint toujours de la qualité des repas ». À peine est-il entré que Yolande, attablée devant son petit-déjeuner et encore en robe de chambre l’interpelle : « Souvent la soupe est trop salée, vous pourrez le dire au chef ? ». Philippe acquiesce, sourit, rassure. Et si les repas ne font pas toujours l’unanimité, lui est apprécié de tous. Pour Brigitte, qui trouve juste que, parfois, « ça manque de sauce » (tout en reconnaissant que les quantités sont largement suffisantes), « Philippe, c’est le meilleur de tous ! En plus il donne des conseils pour la cuisine ! ». Gilberte non plus n’a rien à redire : « C’est un homme discret, je suis contente de lui. Du menu aussi, même si ça ne peut pas être au goût de tout le monde tous les jours. L’encornet farci, ça, c’était bon ! ».
Philippe connait sa tournée par cœur. Sa camionnette s’arrête devant les maisons isolées des hameaux, Le Terme, Sayrac, Magnanac. Quand la porte est déjà ouverte, il s’annonce par un « bonjour » sonore et chaleureux. Il arrive que les bénéficiaires dorment encore, alors il leur dépose leur repas sur la table. Quand les habitations sont closes, il laisse les denrées à l’extérieur, parfois dans une glacière prévue à cet effet. Il visite aussi la Cité verte et le quartier Saint-Exupéry, passera par le centre-ville, les coteaux, montera jusqu’au Born et poussera jusqu’à Bondigoux.
Un maillon essentiel du lien social
Philippe le sait, il est souvent la seule personne que les bénéficiaires verront de la journée. Alors il prend le temps de discuter, tout en veillant au respect des horaires : tous les repas devant être livrés avant midi et demi, cela fait en moyenne 10 repas déposés par heure. Il refuse souvent des cafés, accepte quand il est sûr de tenir les délais. « Décaféiné, normal ou corsé ? » Dorina propose à Philippe de s’assoir, lui prépare son expresso et lui parlera pendant 10 minutes de son ancienne vie à l’usine, de ses enfants … et des gilets jaunes.
Tous ne sont pas aussi alertes qu’elle. « Certains me font mal au cœur », confie Philippe. C’est le cas d’Yves, qui a perdu sa femme il y a un an. « Lui, il est vraiment tout seul. Des fois, ça va, on boit un café ensemble, il me parle. Mais d’autres fois, il ne dit pas un mot ». Un jour, Philippe a trouvé sa porte close. Il est revenu plus tard dans la matinée, sans succès. À la fin de sa tournée, il est repassé et a enfin pu le voir. Philippe est rentré rassuré.
Bien plus qu’un porteur de repas, Philippe est une vigie, un maillon essentiel du lien social. Quand on lui demande s’il se sent plus utile à ce poste que lorsqu’il nettoyait le bord des routes, sa réponse est ferme : « Je me suis toujours senti utile. La différence, c’est qu’avant, ça se voyait. Mais moi, je me contente de savoir que ce que je fais sert à quelque chose. J’aime être dans l’ombre. ». Et c’est bien pour cela qu’il méritait d’être mis en lumière.